Sylvestre Simon Samb
Interview réalisée par Corine Mercier

Comment êtes-vous venu à l'écriture ?

Une des idées à laquelle j’ai toujours cru, c’est que les gens ne viennent pas au monde les mains vides. On naît tous avec un don, un penchant naturel pour un art ou une activité donnée. Je pense que j’avais quelques prédispositions pour l’écriture, un talent que j’ai essayé de développer en m’exerçant. Car il ne suffit pas d’avoir un don. Il faut d’abord savoir déceler cette aptitude innée en nous, ensuite, comme un bon sportif, s’entrainer, essayer de le parfaire.
J’ai aimé très tôt lire. Quand j’étais petit, mon père était abonné à l’unique quotidien officiel "Le Soleil" qui existait alors au Sénégal, ainsi qu’à des tas d’autres magazines de presse hebdomadaires et mensuels. Je pense que mes premiers pas pour tout ce qui tourne autour de la littérature viennent de ces journaux que j’aimais feuilleter quand j’étais un peu désœuvré et que je ne trouvais aucun passe-temps qui m’intéressait. Le niveau d’écriture, pour mon âge, était un peu élevé dans ces revues de presse, raison pour laquelle je me contentais en général de visionner les photos et de lire juste le chapeau des articles pour avoir un aperçu de ce dont il y était question.
Un jour, le frère d’un ami d’enfance qui était au collège est rentré à la maison avec un carnet. Je devais avoir 9 ou 10 ans. J’étais à l’école primaire. Cheikhna, c’est son nom, est venu me voir et m’a tendu ce livre de petit format où était juste écrit TEX en me disant : à la place des magazines que tu aimes tant survoler, je pense que j’ai trouvé exactement ce qu’il te faut.
Il ne pensait pas si bien dire. Je venais d’avoir en main un support qui était un condensé d’images extrêmement riches en expression, mieux que dans les journaux que je feuilletais. Et tous les textes étaient succincts, pas aussi interminables et redondants qu’un article de presse. Je venais de découvrir, dans une petite ville perdue du Sénégal où il n y avait ni librairie ni bibliothèque, l’univers de la BD. Pas n’importe laquelle, mais celle fantastique de Gian Luigi Bonelli.
Les fabuleuses histoires du génial créateur italien, ont enchanté toute mon enfance. Le style narratif singulier, les scénarios bien ficelés, les récits foisonnants où se mêlent et s’entremêlent le mystère, le surnaturel, le réel, l’irréel, les histoires de vaudou, de mondes disparus et de civilisations en péril ont ouvert en moi des sphères toutes nouvelles. C’est avec les histoires de Bonelli que j’ai véritablement appris à lire et à aimer la lecture, que j’ai trouvé la clé des portes qui donnent accès à ce merveilleux et mythique pays que l’on aime qualifier d’imaginaire. C’est lui qui m’a ouvert les portes vers d’autres genres littéraires comme les nouvelles que j’ai découvertes à l’adolescence et que je traquais dans les revues du Reader’s Digest des années 80, qu’une de mes tantes collectionnait.
Si c’est grâce aux sensationnelles aventures racontées par Gian Luigi Bonelli que mon esprit est tôt devenu perméable au monde des livres, l’envie d’écrire ne se fera sentir, elle, qu’après avoir lu, au collège, deux ou trois livres d’Emile Zola. Le cycle des Rougon-Macquart constitue une saga pour laquelle je me suis beaucoup passionné entre 14 et 16 ans.
Zola m’a fait aimer la littérature française. Par lui j’ai su ce qu’était un courant littéraire, quels étaient les principaux qui, à une époque donnée, existaient en France et qui en étaient les précurseurs. Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Marcel Proust, Balzac, Stendhal sont des auteurs que j’ai lus avant mes 17 ans. Je me souviens que c’est en parcourant leurs œuvres que je me suis dit que je serais peut-être capable moi aussi d’écrire un jour un livre. Dès l’instant ou cette pensée s’est incrustée dans ma tête, l’idée s’est vite transformée en défi. De petits poèmes, dès l’âge de 14 ans, j’en écrivais déjà. Mais parvenir à étaler sur des feuilles blanches des centaines de phrases, des milliers de mots ?...C’était le grand pari. Et j’y suis arrivé en commençant par une nouvelle d’une soixantaine de pages que j’ai rédigé en trois mois. C’était en 1988, l’été de mes 18 ans. Et c’était l’année aussi où j’ai découvert Toni Morrison. Ses œuvres vont exploser mes sens, ébranler, pierre après pierre, tout l’édifice littéraire que je m’étais mis à bâtir jusqu’ici.
Avant Morrison, il n’y avait de littérature dans ma tête que celle française par qui je jurais en tout temps et tout lieu. Avec Morrison je suis reparti à zéro. Avec elle je suis entré dans l’univers sombre, dense et complexe des Noirs aux Etats-Unis. Le racisme, l’extrême pauvreté, le tableau qu’elle brossait des situations vives et tendues que les afro-américains subissaient au quotidien m’avaient beaucoup marqué. Une des choses que je garde encore à l’esprit, c’est cette forte envie que j’ai eue après avoir parcouru la moitié de ses livres, d’élargir mes connaissances littéraires. J’ai lu Tolstoï, Goethe, Shakespeare et même quelques auteurs chinois pour avoir une idée des problèmes qui pouvaient bien être traités par ces grands auteurs dans leur pays respectif.
Et puis voilà. A 21 ans j’ai commencé à écrire mon premier roman qui ne sera publié que 9 ans plus tard.

Comment naissent vos histoires?

Plus ou moins des faits divers de l’actualité où d’un évènement marquant de l’histoire qui, comme le génocide rwandais a laissé des traces dans mon subconscient. En général mes romans sont un condensé de plusieurs petits récits qui s’entrelacent autour d’un thème central.
Il est globalement question dans Humanité misérable des conflits ethniques qui ont ravagé le centre de l’Afrique au début des années 90. C’est un sujet qui s’était imposé à moi d’office à l’époque. C’est un drame qui m’avait profondément meurtri et d’en parler, c’était comme une sorte d’exutoire. Mes livres naissent de l’envie d’extérioriser des émotions et des sentiments qui, à un moment donné, se sont accumulés dans un coin de mon cerveau. Le processus était le même autant pour Dièse à la clef que pour Un parfum d’oxalides. Le choix d’un sujet s’opère toujours à travers mes ressentis de l’heure.
Une fois que la trame principale du livre est esquissée, les histoires secondaires qui gravitent autour me viennent d’un peu partout, soit de situations coquasses, difficiles ou tristes vécues par des proches, soit d’une anecdote glanée dans la rue au cours d’une conversation.
Je déteste mettre des écouteurs quand je me promène ou que je voyage, car j’aime bien écouter les gens, ouïr l’écho des voix, voler des bribes de dialogue par-ci et par-là, surprendre des confidences.
Il m’arrive aussi de glisser dans mes textes des expériences que j’ai personnellement vécues. Il y a toujours un peu de moi dans mes ouvrages. Pour la plupart des auteurs, tel doit être le cas je crois.

Quels sont vos ouvrages préférés ?

J’aimais, quand j’étais adolescent, les romans d'Emile Zola. Je trouvais ses textes écrits avec une si grande minutie, une si profonde clarté, une telle intelligence et compréhension de l’être humain qu’après chaque livre achevé j’avais les sens tourneboulés.
Je pense que je serais jusqu’à la fin de ma vie resté un inconditionnel des œuvres d’Emile Zola si le livre d’Albert Camus La peste n’avait pas plus tard chu entre mes mains. De vive mémoire, le premier roman qui m’ait véritablement explosé le cerveau dans le sens littéraire du terme, c’est La peste. Je trouvais sa prose d’une extrême finesse. Son style, la peinture des lieux, la mise en scène des personnages face à leur peur dans le décor macabre : tout était remarquable. Face au livre, je n’avais pas l’impression de lire un texte, mais d’être dans le texte. C’était extraordinaire. C’était la première fois que je ressentais une semblable chose.
Après La peste, les années passant, je suis tombé sur d’autres romans que je trouvais être simplement des chefs-d’œuvre.
A ce stade précis de ma vie, au palmarès des livres les plus fabuleux que j’ai lus figure en tête Le chant de Salomon de Toni Morrison. Beloved son quatrième opus est un livre magnifique. C’est d’ailleurs grâce à celui-ci qu’elle a obtenu le prestigieux Pullitzer. Mais personnellement, je trouve que Le chant de Salomon est la meilleure de ses œuvres. En seconde position je mettrai Notre dame de Paris de Victor Hugo. C’est un ouvrage superbe, d’une beauté éternelle. En troisième position je classerais Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez qui est simplement sublime.

Que représente pour vous l'écriture ?

Pour moi, écrire c’est s’évader, c’est aller à la rencontre d’une culture, de personnages dont on raconte la vie et dont on fait s’opposer les idées aux idées d’autres personnages. Ecrire c’est plonger dans une époque donnée de l’histoire et essayer de revivre les mêmes évènements qu’au moment précis où ils se sont déroulés.
Ecrire c’est plonger aussi dans mes racines africaines, donner une idée de la vie des gens sur le continent noir, leurs rêves, leurs espoirs et les désillusions. Quand on parle de l’Afrique en général dans les médias occidentaux c’est toujours pour montrer des gens qui meurent de famine, de soldats qui s’entretuent sans jamais expliquer pourquoi ni comment ces choses sont arrivées. Dans mes livres, j’aime aller au-delà de ces clichés, montrer que ce n’est pas que cela l’Afrique.

Avez-vous des habitudes d'écriture ?

Pas vraiment. Je ne suis pas comme certains auteurs qui n’écrivent que lorsque certaines conditions sont bien réunies. Je sais qu’il en existe qui se retirent dans des endroits solitaires et silencieux pour s’épancher. Quand leur environnement immédiat est parasité par un seul bruit extérieur, toute écriture est impossible.
D’autres ne trouvent leur inspiration que dans des cadres spécifiques comme dans un café ou un banc public etc. …
Moi, j’avoue que j’aime bien écrire le matin entre 8h et 11h. Mais il m’arrive tout aussi bien d’écrire dans l’après-midi ou le soir. Et qu’importe le lieu. Tant que l’inspiration et l’envie sont là et que je ne me trouve confronté à aucune activité contraignante, c’est avec plaisir que je laisse les muses s’égayer dans ma tête.

Quels sont vos autres activités en dehors de l'écriture ?

Je suis un maniaque des jeux d'échecs. Je passe beaucoup de temps à y jouer au grand dam de ma compagne. Sinon j'aime bien aller au cinéma, lire et me ballader dans Paris.

Interview réalisée par Corine Mercier
Rédactrice